Extraits
Un conte, par Mathias Lhomme se réveilla en sursaut ! Le corps en sueur, les mains moites, le cur battant la chamade, il scruta la chambre plongée dans le noir. Une nuit, noire comme lencre de chine, percée des cris de divers animaux nocturnes, tiède et effrayante. On apercevait encore le rougeoiement de quelques braises provenant de lâtre dans un coin de la maison. Les lucioles voletaient dans un désordre total illuminant leur trajectoire. Kouki -cétait le nom de cet homme- hagard, tendit loreille et distingua le battement du tam-tam qui lavait réveillé. Que pouvaient se dire les batteurs de tam-tam, télégraphistes avant lheure ? Le rythme saccéléra, et Kouki fut saisi dun pressentiment ; on aurait dit que les notes extraites des tam-tams psalmodiaient, telles des pleureuses, avec des plaintes et des râles de fauve à lagonie. Kouki rafla un pagne, se ceignit les reins, se précipita dehors, courant vers la concession de Baha le " télégraphiste " du village. Les chiens hurlaient à la mort. Dans cette nuit inquiétante, sans lumières, Kouki se dirigeait sans hésitation. Il fit irruption tel un ouragan dans la cour de Baha, faiblement éclairée ; il y avait déjà un petit attroupement. Baha, penché sur son instrument, ignorait lassistance. Attentif, concentré, il tendait loreille vers les sons saccadés qui lui arrivaient de loin, et dès que la dernière note lui parvenait, il tapait fermement sur son instrument, répondant au questionnement de ses interlocuteurs invisibles. Quelle heure pouvait-il être ? tard certainement ! la nouvelle devait être importante, voire même urgente ! Baha rangea enfin ses baguettes, et sonda lassistance ; son regard trouva Kouki : " Ce message vient de ta belle-famille, dit-il. Ta femme a mis au monde une petite fille ... mais, elle est morte en couches. " Un silence minéral sabattit dun coup. les grillons mêmes cessèrent de siffler, comme sils saisissaient la catastrophe qui fondait sur ce village de Log Mail. Ce silence fut brusquement interrompu par les cris, les pleurs ; les maisons silluminèrent les unes après les autres. Sur la trentaine de maisons que comptait ce village, une seule resta plongée dans le noir. Comment le message était-il arrivé si vite dans tout le village ? Pouvait-on déchiffrer le " tac-tac-boum-boum " du tam-tam dans toutes les chaumières ? Ceci reste pour nous un mystère. Kouki fit les cinquante kilomètres qui séparaient les deux villages, à pied. La défunte, étendue sur une natte entourée de pains de glace, était très belle malgré le masque de la mort. Elle était la fille unique de DOG, MBOMBOG (ce qui, en Bassa, veut dire Notable). Longtemps dans la fonction publique, il était revenu au village à lheure de la retraite. Les deux hommes, unis par le même chagrin, emmenèrent la morte au cimetière. Au plus fort de la cérémonie, Kouki, saisi dun malaise, tomba dans la fosse. Panique générale : tout était prévu pour descendre le cercueil, rien pour remonter quelque chose ou quelquun. Nétait-ce pas le signe dun autre malheur ? A laide dune échelle et de deux solides gaillards, on réussit à sortir Kouki du trou, crasseux, avec des mottes de terre dans les cheveux. Quand il reprit connaissance, il poussa un hurlement : " Je ne vois plus rien ! " Il était aveugle ... Il resta donc dans sa belle-famille où il rendait de menus services ; il avait surtout la garde dun champ de maïs attenant à la case de son beau-père. Des années passèrent. Kouki était toujours aveugle, sa petite fille grandissait, elle avait pour compagnon de jeux le Ngwo (le chien, en bassa) qui prêtait main forte à Kouki pour chasser du champ les rongeurs et les oiseaux. Elle avait sept ans à présent, et elle ne parlait pas. Les seuls cris quelle avait poussés dataient de sa naissance. Nul ne savait si elle était vraiment muette, ou si elle avait subi un traumatisme à la naissance. Ngo-Kouki (ce qui signifie fille de Kouki, en Bassa) ségara un jour dans le champ de maïs. Son père entendit le bruissement dans le champ, il simagina que le champ était dévasté par des bêtes, et cria : Gwel (attrape, en bassa) au Ngwo.Celui-ci sélança, et, reconnaissant sa compagne de jeu, se contenta de dévaster quelques plants de maïs, croyant que cétait un nouveau jeu ! Exaspéré, Kouki envoya le Kek (bâton, en bassa) caresser léchine du chien. Kek nayant aucun grief contre le chien, refusa de le frapper. Notre aveugle avait toujours du hie (feu, en bassa) allumé, et, pour punir Kek, il le jeta au milieu des flammes. Hie refusa de brûler le bâton. Kouki se saisit dun nlonga (seau, en bassa) plein deau pour éteindre le feu. Leau resta collée au fond de Nlonga et Kouki fit venir Nyaga (vache, en bassa) pour boire leau. Nyaga, repue, refusa dingurgiter la moindre goutte deau. Sans se décourager, Kouki envoya chercher Malagal, le seul Nol nyaga (boucher, en bassa : de nol-tueur et nyaga-boeuf) pour égorger la vache. Malagal avait fait ses classes chez les Haoussas du Nord -pasteurs et bouchers patentés- ; il était très prospère, il ne voulut pas se déplacer pour un Nyaga privé.. -"Allez me quérir le bourreau, cria Kouki, et que cet insolent finisse au gibet ! " Mais le bourreau, nayant pas dacte de condamnation, ne pouvait pas le pendre ... Désemparé, furieux , Kouki prit langue avec les anciens : le débat fut houleux, mais instructif. Ils tombèrent tous daccord pour livrer le bourreau aux Mitonebas (diables, en bassa : littéralement, gens qui se déguisent, sorte de voyous sans foi ni loi représentant le mal absolu). Les Mitonebas, heureux de laubaine -le bourreau avait torturé et pendu leurs compagnons- rendirent une visite musclée au bourreau, prêts à prendre son âme ... à moins quil ne consente à pendre le Nol nyaga. Il prépara alors sa plus belle corde de chanvre, fabriqua une potence. Le boucher, voyant la potence, se rua sur sa masse, et armé de son couteau, courut chercher la vache pour exercer ses talents. Sentant déjà la morsure du couteau sur son cou, Nyaga se mit à transpirer ; elle transpira si abondamment quelle eut soif ; ne voulant pas finir dans le ventre de la vache, le seau deau releva ses jupes pour ne pas se mouiller et voulut balancer au loin leau pour éteindre le feu. Le feu, sentant le souffle glacé de leau, commença à consumer le bâton, en commençant par les deux bouts ! Le bâton, se voyant déjà devenir charbon, jaillit du feu et commença à caresser les côtes du chien. Ce dernier, surpris, le souffle coupé par la violence du coup, mordit violement la petite fille. Celle-ci poussa un hurlement, suivi dappels au secours. Kouki entendit le cri de détresse. Lanxiété, la peur de perdre encore cet être cher, le poussèrent hors de la maison, tel un diable sortant de sa boîte. Dun seul coup, le voile qui masquait son regard se déchira, il fut inondé par la lumière éclatante du soleil de midi. Il venait de recouvrer la vue ! Il se précipita vers sa petite fille qui accourait vers lui, cherchant protection contre le chien qui la poursuivait. Ces deux êtres, épris damour et de tendresse, se rencontrèrent au milieu de la cour, ils sétreignirent. Kouki était submergé par le flot de paroles que proférait sa petite fille. Elle avait tant à dire après tout ce temps ! Kouki, lui, sentait ses lèvre remuer, mais aucun son ne sortait de ses lèvres. Etait-il devenu muet ? Non, ses cordes vocales étaient seulement momentanément ... paralysées. " Tac-tac-boum-boum " fit le tam-tam, envoyant son message lancinant, annonçant aux villages voisins le double miracle survenu le même jour au village Ndog Likoum. Qui lavait prévenu ? peut-être le vent. Kouki et sa fille vécurent heureux, très, très longtemps. Mathias. (de Fleury à Clairvaux, à Poissy). |
Au cours dune conversation, un lecteur me raconte quil a retrouvé un recueil de poèmes du temps où il était étudiant, et me les montre. Leur auteur, Denise Broche, a aujourdhui 74 ans. Nous lui avons téléphoné pour savoir si elle acceptait que deux dentre eux soient publiés ici, ce quelle a accepté avec la plus grande gentillesse. Ces poèmes, eux datent de plusieurs décennies. * Jai
à un doigt de main * Ma
grandmère avait Denise Broche. |