Frédéric Gobert

Bande de stylistes

Molière, Sade, Proust, Céline, Duras
et autres pastiches et parodies

 

 

 

 

 

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Présentation et table


Chacun des styles pastichés ou parodiés dans ce recueil est un lieu différent de jouissance (ou de souffrance) - sexuelle, amoureuse, littéraire. Loin d'être des imitations strictement formelles, et sans quitter les préoccupations des auteurs choisis, les textes servent tous un propos qui possède son originalité et sa richesse propres.

Frédéric Gobert pastiche des oeuvres du Moyen-Âge à nos jours
(classement chronologique) :

Marie de France,
Sindbad le marin et Sade
Contreblasons
Molière
Crébillon fils
Hugo (en rap)
Panizza
Darien
Proust
Bataille
Céline
Ponge
Guillevic
Polar
Claude Simon
Duras
Albert Cohen

Parodies :

Ronsard
Musset
du Bouchet
Réda
Vaudeville
Cours universitaire de littérature

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Extraits

 

Francis Ponge

Le chéquier

Rectangulaire et plat, le chéquier se présente sous deux formes d'égale épaisseur : sept millimètres environ ; trente-deux pages maintenues par un papier collant. Un double souci esthétique et tactile a amené à recouvrir les fils recourbés de fer crochu et grossier qui, ailleurs, arrachent la peau des doigts dont les bouts gras s'affairent en aveugle où dardent les agrafes.

Jaune (ou d'une autre couleur, si vous n'avez pas de compte courant au Trésor Public), la couverture est unie et glacée. Le logo, en haut et à gauche, sépare " trésor " de " public " – le verbe, au contraire, rapproche l'homme de son fonds. Trouée de manière rectangulaire encore, à l'emplacement habituel du nom et de l'adresse, apparaissent un numéro dont la signification et l'utilité échappent au néophyte, ainsi que le nom et le prénom, précédés de la mention qui précise le sexe et, pour la femme, son état de femme mariée ou de demoiselle.

Vidé, le chéquier ressemble à un objet violé : sous sa couverture saillit une béance que les talons ouverts – pétales malmenés en éventail – accentuent lubriquement, bombant la peau froissée qui les couvre comme un ventre de femme en gésine.

Bientôt, les longues feuilles glacées et jaunes sont arrachées. Les petits talons davantage écartés après le pointage des comptes effectué dès réception du relevé bi-mensuel, sont jetés sans pudeur dans une boîte où ils se mêlent à d'autres plus anciens.

Ces petits livres sont conservés à l'abri des regards, dans leur pose obscène, jusqu'au jour où le débiteur, jugeant les faits suffisamment anciens, déchire en quatre ou six chacun des feuillets et les noie violemment sous une cataracte d'eau qui bouillonne, puis se calme, pendant qu'un sifflement irrégulier, discret ou bruyant, selon la quantité de calcaire qui obstrue le tuyau à son embouchure, annonce un nouveau déferlement : quelques petits morceaux flottent à la surface transparente, entre les hautes parois infranchissables de porcelaine blanche.

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Extraits (suite)

Cours universitaire de littérature

Je vous remercie grandement, ai-je dit tout d'abord à mes étudiants pour les flatter, de vous être inscrits si nombreux à mon cours. Le thème que nous allons étudier est en effet très pertinent. Car c'est le plus ambigu... et son caractère polyphonique témoigne des tensions – j'insiste sur ce terme – que le texte fait subir aux multiples instances énonciatives... Car elles sont multiples ! Les renversements auxquels donne lieu le jeu des contrastes permettent la constitution d'une structure très élaborée qui combine d'une façon particulière des motifs eux-mêmes polysémiques. C'est cette combinatoire qui va être l'objet de mon discours. (Les élèves grattent rapidement et regardent les uns sur les autres pour essayer de prendre tout en note.) Vous voulez que je reprenne ? Non ?... Bien. Je poursuis. Elle constitue, la combinatoire, un réseau dont l'agencement complexe fait intervenir différents niveaux d'interprétation. Au niveau de la syntaxe, par exemple, une étude des marqueurs – vous devez tous savoir ce qu'est un marqueur, je ne m'arrête pas sur des problèmes terminologiques, vous vous reporterez aux ouvrages dont je vous ai donné les références en début d'année dans les vingt-cinq pages de bibliographie... Où en étais-je ? Ah ! oui, les marqueurs... Eh bien, ces marqueurs, ils nous révèlent de façon surprenante la modalité intersubjective qui caractérise notre sujet ! Intersubjectivité que l'énonciation particulière, je dis bien particulière, met nettement en valeur (et non en exergue). Un exemple : à la ligne trente trois, la prédicativisation du thème, autrement dit, pour les rhumatisants terminologiques, la rhématisation du thème, n'est-ce pas ? vous révèle de toute évidence l'ambivalence du narrateur narrant à l'égard du narrateur narré. C'est clair ?... Ou pour parler votre langage de lycéens attardés, celui qui parle, là, il aime et il n'aime pas celui dont il parle, qui n'est autre que lui-même quinze ans plus tôt. Vous me suivez ? Bon ! Faites un effort, ça se complique. Tout ce montage, véritable labyrinthe structural et linguistique – ne notez pas, ne notez pas cela, une simple métaphore didactique – toute cette construction plurielle – ça, vous pouvez noter – cette pluralité a à voir, c'est ce que l'on finit par découvrir, avec un non-dit subtil et jamais atteint – car vous avez tous remarqué qu'il s'agit là d'une quête, qui bien sûr n'en est pas véritablement une – a donc à voir avec un indicible... que Lacan aurait nommé : l'un en moins. De ce vide entre le dit et l'objet de cet implicite suggéré avec une rare finesse, naît l' " inquiétante étrangeté ", l'Unheimlich. Vous aurez donc remarqué le cheminement que j'ai suivi, et qui nous amène à dire que ce texte est un texte fantastique... Ce qui n'était clair pour personne, maintenant, je l'espère, l'est pour tous. Des questions ?... Je continue... Nous entrons maintenant dans la " mise en abyme "... L'esthétique dominante est celle de l'ambigu. Tout le monde aura remarqué que tout ici est ambigu... N'est-ce pas ?... Il est clair que l'obscurité participe du phénomène d'angoisse auquel vous êtes en proie à l'idée que c'est sur le cours auquel vous assistez en ce moment que portera le prochain partiel... De quoi est-il question ? Comment une telle complexité est-elle possible ? Vous conviendrez donc avec moi que le mystère dont s'entoure l'actualisation de ce thème laisse ouvert tous les possibles... Comme le disait si poétiquement, Barthes je crois, " le vide est une polysémie exacerbée ". (Murmures d'approbation.) N'est-ce pas ? Il est clair aussi que ce topos n'éclaire pas l'ethos en principe toujours nettement visible dans l'incipit. Le sujet de l'énonciation se dissimule derrière un référent qui n'existe pas. Ainsi, par un subtil jeu de cache-cache, l'on ne sait ni où l'on est, ni en quel temps, ni même de quoi l'on parle !... On erre dans un univers flou qu'un narrateur extra-homo-diégétique en focalisation externe... oui ! homodiégétique en focalisation externe ! car il s'agit d'un narrateur amnésique et dédoublé... D'où le thème du double entre les deux narrateurs dont je vous ai parlé tout à l'heure... Vous le voyez, le fantastique, là ? Eh bien, ce narrateur extra-homo-diégétique (allez voir Genette pour ça), il observe comme vous ce qui se passe et écoute ce qui se dit en essayant de saisir quelque chose. On pourrait voir là une nouvelle vague du Nouveau Roman : l'aboutissement d'un projet qui semblait une aporie, et dont la forme féminine en clair-obscur que je vous ai décrite, effrayante et désirable, laisse percevoir sous le voile du flou artistique, l'érotique robe grillée. (Murmures admiratifs.) La permanence de l'irréalité que tous nous ressentons est engendrée par l'illusion d'une présence transcendante que recouvre l'immanence des mots prononcés devant vous, insaisissables, invisibles, purs signifiants sur lesquels nous essayons tous en cet instant tragique de mettre au moins un signifié, une sorte de généralité signifiante globale, vaste et suprême consécration du chef-d'œuvre : l'ambiguïté. (Applaudissements.) Je... (Il ne peut parler.) je v... (Applaudissements accrus.) merci, merci... Je vous en prie... merci...

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Bande de stylistes
de Frédéric Gobert - 162 pages, 13,57 € - ã Panormitis

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