Liralombre n°19, janvier 2000
Un dossier sur Toni Morrison
(dossier partiel)
Toni MORRISON Plusieurs Cercles de Lecture -à la Bibliothèque de la Maison des Femmes et dans deux bibliothèques de la Maison des Hommes, de la Maison dArrêt de Fleury Mérogis, se sont plongés dans lunivers et dans lécriture de Toni MORRISON. Une journée de Formation des détenus-bibliothécaires lui a été consacrée, avec le soutien de Madame Andrée Anne KEKIEH-DIKA, professeur de littérature américaine à la Faculté des Lettres du Mans. Les plus passionnés des lecteurs ont choisi des extraits, et tenté de dire leur expérience de lecture. Madame KEKIEH-DIKA nous a communiqué des textes que nous ne connaissions pas. Nous avons essayé den rassembler les éléments qui suivent, traces dune lecture que beaucoup noublieront pas. La trace la plus durable restera le nom que sest choisi lune des bibliothèque ,-celle du D1 : Bibliothèque Toni MORRISON. Note biographique : Le 18 février 1931 naît Chloe Anthony Wofford dans la ville de Lorain (Ohio). Elle devient Toni Morrison après son mariage, en 1958, avec Harold Morrison, dont elle divorcera en 1964. Elle est mère de deux fils. Toni Morrison commence sa carrière dans lédition. De 1967 à 1984 elle est directrice de publication dans la prestigieuse maison dédition Random House. En 1970 elle publie son premier roman The bluest eye - Lil le plus bleu. Suivent six autres autres romans, qui ont tous été traduits en français. Enseignante à Suny Albany, Yale, Princeton, Toni Morrison est aussi critique littéraire ; elle a publié un certain nombre darticles sur la pratique de la littérature. Elle est encore lauteur dune pièce de théâtre sur le lynchage, Dreaming Emmett, en 1986. Le prix Nobel de Littérature a couronné, en 1993 cet écrivain qui se définit comme écrivain et femme noire-américaine. Éléments bibliographiques : uvres de Toni MORRISON traduites en français Romans, édités par Christian Bourgois : Beloved, 1989,
traductrices : Hortense CHABRIER et Sylviane RUE Ouvrages critiques : Jouer dans le noir : blancheur
et imagination littéraire, traduit de Playing in
the dark, Bourgois, 1993 Ouvrages français sur Toni Morrison : Geneviève FABRE éd., Toni
Morrison, profils américains, Montpellier, Paul
Valéry, 1990 Lecture des uvres de Toni Morrison Au fil de la lecture Toni Morrison : une histoire damour Toni Morrison et moi sommes indéfectiblement liés ; quelque chose de plus fort que lamour : lirrésistible attente du nouveau roman ! Pourtant ce ne fut pas aussi simple : dérouté par son style très souvent basé sur les flash-back qui vous oblige à réfléchir, qui vous oblige même à tout relire : à ces moments-là vous vous laissez bercer par sa phrase ; ce rythme, cette musique négro-spiritual, jazzie des années 1920. Ceux qui connaissent le jazz savent ce quest un accord de sixte : totalement dissonant écouté hors de son texte mélodique, mais tellement sublime pour les liaisons harmoniques. Toni Morrison est ceci : un accord dissonant indispensable à la musique. Chacun de ses livres retrace un fait divers, assené dès les premières pages. Vous navez plus alors quune hâte : pourquoi ? Et ce prestidigitateur quest lauteur vous délivre la vérité à doses homéopathiques qui permettent daccepter linacceptable. Luvre de Toni Morrison est elle même une histoire damour : amour de ses ancêtres esclaves dont on a voulu oublier lexistence, amour de ses compatriotes, amour des enfants toujours mêlés à ses histoires, et amour de la belle écriture. Lamour, comme le malheur, ne sont-ils pas le ferment de lécriture poétique ? Ses romans sont aussi poésie. Mais lauteur noublie pas de vous insuffler ses idées, ses convictions ; jusque dans lhorreur ; par la magie de ses mots, elle vous entraîne à sa suite dans la découverte de lhomme, dans son enfer, où la haine est proche du véritable amour. Lucien A. D4. Le chant de Salomon Ce livre nous parle de retour aux racines : le retour aux racines dun jeune adolescent Macon Mort, dit Milkman, Le laitier, parce quil a été nourri au sein très tard. Il sagit dune époque précise, il sagit aussi de lerrance du peuple Noir depuis la nuit des temps. Cette errance a de multiples raisons : lesclavage, les guerres, des raisons économiques, politiques, la partition des différents pays par les colonisateurs . Dans sa quête, Laitier fait des découvertes. Lamour non partagé peut être dangereux : il est poursuivi par Agar, sa cousine ; ne pouvant assassiner Macon, elle se suicide. Lamitié cède souvent le pas à lintérêt : son ami intime Guitar lui promet la mort sil essaye de sapproprier lor de sa tante Pilate. Chaque famille a des cadavres dans le placard, et, en toute honnêteté, chacun pense avoir les meilleures raisons. Pour Macon tout senclanche un soir à table. Son père gifle sa femme, et avant que son bras ne retombe, il est aussitôt giflé par son fils qui se retire dans sa chambre. Pour se justifier, il vient lui dire : " Tu es grand et fort maintenant, mais la taille est loin de suffire à faire un homme . Pour être un homme il faut affronter la vérité pour de bon. Si tu te mets en tête de lever la main sur ton père, il vaudrait mieux mettre un peu de compréhension dans ton poing. Mon beau-père ne ma jamais aimé et il a tout fait pour me séparer de ta mère. Quand il mourut, ta mère ne trouva mieux à faire que de se coucher nue à côté du cadavre de son père et à lui lécher les doigts. Je ne dis pas quils avaient des rapports, mais au vu de ce quelle faisait au mort, on peut se demander ce quelle avait pu lui faire, vivant Je regrette quelle mait dissuadé de le tuer. " Madame MACON, elle, justifie son attitude vis-à-vis de son mari parce quil avait demandé à Ruth davorter quand elle attendait le Laitier , et quil avait tué son beau-père en jetant ses médicaments. Toni Morrison nous plonge dans lhorreur, toujours graduée de façon croissante, mais avec calme et simplement dite. Cette horreur ne nous choque pas, elle nous semble proche et quotidienne, sans perversion ni voyeurisme. Le chant de Salomon est une comptine qui a traversé le temps : Jake le seul fils de
Salomon Ce premier couplet de la comptine nous parle de lenvol de Salomon, père de Jake, arrière grand-père du Laitier. Laissa un bébé chez
un homme blanc Nous retrouvons dans cette comptine des mots Yoruba et Kikongo , didiomes parlés en Afrique Centrale (Nigeria et Congo-Zaïre actuels), enrichis de mots grecs, ce qui nous montre la puissance de la mémoire collective. Retrouver ses origines, signifie pour Macon, à la manière des griots africains : recueillir cette mémoire collective pour comprendre lhistoire de sa famille. Le chant de Salomon est bourré de mythes : le livre souvre sur lenvol de lagent dassurances , suivi de lenvol de Jake, et se referme sur lenvol du Laitier. Le désir de voler est une forme de renonciation, de voyage, derrance ; on y sacrifie toujours quelque chose ; Jake larrière grand-père, ce sont ses enfants quil laisse en senvolant. Le chant de Salomon nous parle aussi des rencontres exceptionnelles dans la vie. Ici, celle des Indiens avec des Noirs, le génocide des Indiens renvoyant à celui des Noirs. Le chant de Salomon est une histoire de Noirs parce que lauteur est Noire. Le même thème pourrait être repris par tous les opprimés, et devenir une histoire arménienne, palestinienne, chinoise etc. Le chant de Salomon est
peut-être ainsi, en fin de compte, une invite à
souvrir aux autres et à se juger sans
complaisance. À lire sans modération. Mathias P., Cameroun. Extrait choisi par le Cercle de lecture du D1 : " À ce moment-là il
entendit de la musique. Elles chantaient. Toutes
ensemble. Pilate, Reba, et la fille de Reba, Agar. Il revint lentement sur ses pas, vers la maison de Pilate. Elles chantaient une mélodie que dirigeait Pilate. Une phrase que les deux autres reprenaient et sur laquelle elles sappuyaient. Son puissant contralto, le soprano perçant de Reba en contrepoint, et la voix douce de la petite Agar, qui devait avoir dix ou onze ans aujourdhui, lattirèrent comme un aimant attire des clous. Macon sabandonna à la musique et
sapprocha encore. Il ne voulait ni parler ni
espionner, seulement écouter et les voir, toutes les
trois, la source de cette musique qui lui faisait penser
à des champs, à des dindes sauvages et à du calicot . p. 46-49. Autres extraits choisis par le Cercle de lecture du D1 : " Une femme tout habillée
sortit de leau. À peine si elle atteignit la rive
du ruisseau avant de sécrouler au sec, accotée au
tronc dun mûrier. Toute la journée et toute la
nuit, elle resta là, la tête appuyée contre
lécorce et suffisamment abandonnée pour casser le
bord de son chapeau de paille. Tout lui faisait mal, mais
surtout les poumons. Ruisselante et la respiration
courte, elle passa des heures à tenter de venir à bout
du poids de ses paupières. La brise du jour sécha sa
robe ; le vent nocturne la chiffonna. Personne ne la
vit émerger de londe, ni ne passa par hasard.
Quelquun leût-il vue quil eût
probablement hésité avant de sapprocher
delle. Non parce quelle était mouillée, ou
sommeillait, ou faisait comme un bruit
dasthmatique, mais parce que malgré tout, elle
souriait. Il lui fallut toute la matinée du lendemain
pour se soulever de terre et se frayer un chemin à
travers les bois, passer devant un temple de buis géant,
traverser le champ et arriver jusqu'à la cour de la
maison gris ardoise. De nouveau épuisée, elle
sassit au premier endroit commode, une
souche non loin des marches du 124. Vers la fin de laprès-midi, la femme sétait de nouveau endormie. Les rayons du soleil la frappaient en plein visage, de sorte que, quand Sethe, Denver et Paul D. débouchèrent au tournant de la route, tout ce quils virent fut une robe noire, deux chaussures délacées au-dessus de lourlet, et pas dIci-Couché en vue. Regardez, dit Denver, Quest-ce que cest ? Et, pour une raison inexplicable sur le
moment, dès que Sethe fut assez près pour voir le
visage de la dormeuse, sa vessie se trouva pleine à
craquer. Elle fit : "Oh !
excusez-moi" et courut derrière le 124, juste
devant la porte, elle dut trousser ses jupes et évacuer
des flots intarissables. Comme un cheval, se dit-elle.
Mais tandis que cela continuait, encore et toujours, elle
pensa, non, plutôt comme lorsquelle avait inondé
la barque, à la naissance de Denver. Il navait pas
plus été possible dempêcher le liquide de
ruisseler dune poche des eaux qui se rompt que
darrêter ce torrent-là, maintenant. On peut savoir votre nom ? demanda Paul D. Beloved, répondit-elle. Beloved. Et sa voix était si basse et si rauque quils sentre-regardèrent. Ils entendirent la voix dabord, le nom ensuite. " p.76-78. " [...] Je suis Beloved et elle est à moi. Sethe est celle qui cueillait des fleurs, des fleurs aux pétales jaunes là-bas, avant les recroquevillés... Elle allait me sourire quand les hommes sans peau sont venus et nous ont remonté à la lumière du soleil en même temps que les morts, et quils les ont balancés dans la mer... Sethe est le visage que jai perdu et que jai retrouvé dans leau sous le pont... mais jai trouvé la maison dont elle mavait parlé tout bas et elle était là, et enfin elle souriait. Cest bien, mais je ne veux pas la perdre encore... Elle me sourit et cest mon propre visage qui sourit. Je ne la perdrai plus. Elle est à moi. [...] Beloved. Tu es mon visage ; je suis toi.
Pourquoi mas-tu quittée, moi qui suis toi ? Je tai attendue. p. 300-303. " Il y a une solitude que lon peut bercer. Bras croisés, genoux remontés, on se tient, on se cramponne, et ce mouvement, à la différence de celui dun bateau, apaise et contient lesseulé qui se berce. Cest une solitude intérieure, qui enveloppe étroitement comme une peau. Puis il y a une solitude vagabonde, indépendante. Celle-là, sèche et envahissante, fait que le bruit de son propre pas semble venir de quelque endroit lointain. Tout le monde savait comment on lappelait, mais personne, nulle part, ne connaissait son nom. Volontairement oubliée, ne comptant plus pour rien, elle ne peut être perdue puisque personne ne la cherche, et le ferait-on quon ne pourrait lappeler, ne sachant pas son nom. Elle revendique, mais nest pas revendiquée. A lendroit où sécarte lherbe haute, la fille qui attendait dêtre aimée et de pleurer de confusion explose en menus fragments, pour que le rire masticateur lengloutisse toute plus aisément. Ce nétait pas une histoire à faire circuler. Ils loublièrent comme un mauvais rêve. [...] Ce nétait pas une histoire à faire circuler. Donc ils loublièrent. Comme une rêve désagréable au cours dun sommeil troublé. [...] Là-bas, le long de la rivière derrière le 124, les empreintes de ses pas apparaissent et disparaissent, apparaissent et disparaissent. Elles sont tellement familières ! Quun enfant, un adulte y place ses pieds, elles lui vont. Quil les en retirent, elles disparaissent à nouveau, comme si personne jamais navait marché là. Peu à peu, toute trace a disparu et ce qui est oublié, ce ne sont pas seulement les empreintes de pas, mais aussi leau et ce quil y a là-bas au fond. Le reste nest que temps quil fait. Non pas le souffle des oubliés et de ceux qui ne comptent plus, mais vent dans le chéneau ou glace de printemps qui fond trop vite. Juste affaire de temps quil fait. Certes pas la revendication dun baiser. Beloved. " p. 378-380, fin du roman. Extraits choisis par Lucien Pourquoi ces extraits ? Jai voulu montrer lhumour de lauteur. Jai voulu rester flou dans ces extraits pour laisser planer lindécision et montrer son art du non-dit. Je naurais voulu déflorer le sujet en voulant donner un aperçu du contenu de chaque roman. Jai plutôt essayé que chaque lecteur puisse se rendre compte par lui-même de la nébuleuse dans laquelle nous voyageons, de lart poétique et dune certaine pensée philosophique de lauteur. Sula " [...] autrement la douleur lui échapperait, même si le rire faisait partie de la douleur. " p. 12. " [...] "une jambe de négresse vaudrait 1.000 $ pièce ?" comme sil pouvait comprendre cette somme pour une paire... mais une seule ! " p. 39. " [...] Et quand Eva qui navait jamais été femme à dissimuler les fautes de ses enfants, avait raconté ce quelle croyait avoir vu à quelques amies, celles-ci lui dirent que cétait normal. Sula avait été probablement été pétrifiée, comme nimporte qui voyant sa mère brûler vive. Eva acquiesça, mais resta convaincue, au fond delle-même, que Sula avait regardé sa mère brûler, non parce quelle était paralysée, mais parce quelle trouvait ça intéressant. " p. 83. " [...] "Sula", murmura-t-elle en regardant la cime des arbres. "Sula !" Les feuilles frissonnèrent ; la boue remua ; il y eut une odeur de verdure trop mûre. Une petite boule de fourrure sémietta et senvola dans la brise comme des graines de pissenlit. Tout ce temps, tout ce temps jai cru que cétait Jude qui me manquait... Cétait un beau cri long et fort- mais il navait pas de fond ni de hauteur, que les cercles sans fin de la douleur. " p. 189. Tar baby " Les nuages sentre-regardèrent, puis se dispersèrent dans la confusion. Les poissons entendirent le galop de leurs sabots aller porter la nouvelle de la rivière à la tête perdue jusquau sommet des collines et des cimes des oléaires géants. Mais il était trop tard. Les hommes avaient grignoté les oléaires jusquà ce que, les yeux fous, dans un cri, ils se fendirent en deux pour choir sur le sol. Dans lénorme silence qui suivit leur chute, les orchidées descendirent en spirale pour les rejoindre. " p. 18. " Tuer ne demande pas de culot. Ça demande le contraire, pas de culot du tout. Vous me faites pitié ; vous savez, je trouve que vous devriez être en prison. Comme ça vous pourrez cesser de contempler la mer avec lair pitoyable, tout en pensant aux méchancetés que la vie vous a faites. Il lui jeta un bref regard, comme si elle le distrayait dune tâche essentielle : regarder la mer. Excusez-moi, murmura-t-il, je ne lai pas fait exprès. Je ne pensais pas à moi, mais à la personne que jai tuée. Et ça, cest vraiment lamentable. " p. 166. " Bon, nessayez pas de la voir. Essayez dêtre elle. Aimeriez-vous savoir ce que ça fait den être une ? Dêtre une étoile ? Une étoile de cinéma ? Non, une étoile-étoile. Dans le ciel. Gardez les yeux fermés, pensez à ce que cela fait den être une. " Il se rapprocha delle et lui baisa lépaule. "Imaginez-vous dans ce noir, toute seule dans le ciel, la nuit. Personne autour de vous. Vous êtes toute seule, juste à briller là-haut. Vous savez comment une étoile est supposée clignoter. On dit clignoter parce que cest leffet que ça donne, mais quand une étoile se sent bien en accord avec elle, ce nest pas un clignotement, cest plutôt une palpitation. Encore, encore, et toujours. Comme ceci. Les étoiles palpitent, palpitent, palpitent, et quelquefois, quand elles ne veulent plus palpiter, quand elles nen ont plus la force, elles tombent du ciel." " p. 203. Jazz " Jai vécu longtemps, peut-être trop, à lintérieur de ma tête. Des gens disent que je devrais sortir plus. Me mélanger. " p. 17. " Elle veut dire quon ne peut rien y faire, mais cétait quelque chose. Peu de chose, mais ennuyeux. Comme la fois où mademoiselle Haywood lui a demandé à quelle heure elle pouvait venir coiffer sa petite fille et Violette lui a dit : " À deux heures si le corbillard ne barre pas le chemin. " p. 34. " La mort dont mourait True Belle avait pris onze ans, assez longtemps pour sauver Rose, lenterrer, voir le maïs revenir quatre fois, coudre quatre édredons, treize chemises et remplir la tête de Violette avec des histoires sur la dame blanche et la lumière de leurs vies à toutes les deux, un beau jeune homme qui sappelait, pour des raisons évidentes, Golden Gray. " p.155-156. " Les hommes des bois, blancs ou noirs, les gens de la campagne, étaient libres dentrer dans une cabane, un abri de chasseur. De prendre ce quil leur fallait, laisser ce quils pouvaient. Il y avait des relais et tout le monde, nimporte qui, pouvait avoir besoin de venir sy abriter. Mais personne, personne, ne buvait lalcool de quelquun, chez lui, sauf sil le connaissait vraiment très bien. " p.188. " Mais je ne peux pas le dire tout haut ; je ne peux dire à personne que jai attendu ça toute ma vie et que javais été choisie pour attendre est ce qui ma permis de le faire. Si je pouvais je le dirais. Dirais : fais-moi, refais-moi. Tu es libre de le faire et je suis libre de te laisser parce que je regarde. Regarde où sont tes mains. Maintenant. " p. 249. Lecture de Beloved Beloved ma captivé. Jai eu limpression dêtre en face dun peintre dont les pinceaux sont sa plume et les couleurs, les mots. Elle souffle sur les mots. On a dit quelle " susure " ses phrases, elle ne les " dit " pas ; pour elle, les " non-dits " sont plus importants que les choses dites. Ce qui ma le plus marqué, cest cette façon de faire surgir les choses du néant avec une musique poétique : pour dire quelque chose elle commence par énumérer les contraires, au fur et à mesure la liste des contraire sallonge, et commence à paraître à lhorizon en pointant sa tête comme une naissance, ce pour quoi elle a allongé toute cette liste. " Aucun des deux garçons nattendit den voir davantage : plus de chaudronnée de pois chiches renversée toute fumante sur le plancher ; plus de biscuits secs écrasés et émiettés en ligne contre la porte. Non, ils nattendirent pas non plus lune des périodes de répit : ces semaines, voire ces mois où tout était calme. Chacun deux senfuit dans linstant, au moment même où la maison commit lultime outrage dont il leur sembla impossible dêtre les témoins passifs une seconde fois. " p.11. Beloved commence par " Beloved " et finit par " Beloved ". À la première page, Beloved est présente au 124 sous forme de fantôme. Elle apparaît ensuite, sous une autre forme, réincarnée, habillée, chaussée avec des chaussures neuves, non usées. Pour une personne qui a marché très longtemps à travers champs, cela étonne Paul D. Mais elle finira par partir en courant nue à travers le bois, chassée par toute la communauté. Et elle repart toute nue, dépouillée de tout cet habillage, pour retourner à son état premier de fantôme de mort. Mais rien ne sera plus comme avant. Les personnages figurent une sorte de triangle : Dès la première page, les deux garçons qui formaient avec Denvers les 3 enfants de la famille, sen vont. Ils quittent le 124, laissant leur mère Sethe se débrouiller toute seule avec son fantôme. Il reste donc au 124 Sethe, Denvers, et Baby Suggs, trois femmes. Mais lorsque Baby Suggs meurt, Paul D. vient pour reformer le trio avec Sethe et Denvers. Lorsque Beloved arrive, elle na de cesse de chasser Paul D. qui est de trop : elle veut rester avec Sethe ete Denvers, ce quelle réussit parfaitement bien en le déménageant de pièce en pièce jusqu'à ce quil quitte le 124. Elle aurait pu chasser Denvers aussi. Mais on a limpression que Denvers ne la dérange pas. Elle est revenue demander des comptes à Sethe et, pour cela, elle a besoin dêtre seule avec elle, en tête à tête. Dans ce règlement de comptes, il ny a pas de méchanceté, ni de haine, mais de lamour. Elle est revenue se nourrir de lamour maternel qui lui manquait. Sous jacente, la question : Pourquoi mas-tu tuée ? Est-ce parce que tu ne maimais pas ? Et si tu ne maimes pas, pourquoi ne maimes-tu pas, alors que moi, je taime. La question rejoint la conscience universelle : une mère peut-elle tuer sa fille ? Sethe a fait 10 ans de prison en compagnie de Denvers, sans que lon sache trop si cest à cause de linfanticide ou de la fuite du domaine de son maître, Mademoiselle Garner. En réalité il sagissait dépargner à ce quelle avait de plus cher sur cette terre les conditions de lesclavage, lhumiliation et la souffrance. De quel droit un homme peut-il faire souffrir et tuer un autre homme ? Ainsi posée ce nest plus aux parents responsables dinfanticide que sadresse la question. Non, elle sadresse aux maîtres des domaines et des esclaves qui ont commis des exactions telles que la mort paraissait la seule issue salvatrice. Ismaël, D1. On ouvre le livre, on entre dans le jour, on traverse le temps, puis on ouvre la porte à celle qui appelle. Le temps sarrête, le décor sinstalle, les paysages se dessinent, maisons de bois, elles sont toutes pareilles. Il ny a pas une maison dans ce pays qui nest pas bourrée jusquaux combles des chagrins dun nègre mort- Pourquoi le " 124 " ? Le froid vous cingle ou la chaleur vous colle, les chiens et les hommes sont enchaînés. Drôle dépoque. On découvre la souffrance, la lassitude, la perte de goût, on vous prend toutes vos forces, on y mange la mort. Les personnages surgissent pour conter lhistoire de toutes les choses, et chanter leurs désespoirs. Sethe, à un moment donné de son existence, perd la maîtrise de sa vie pour nêtre gouvernée que par le destin ; son dialogue est celui des vivants avec les morts. Elle parle de sa vie, des enfants, sa chair. Elle sexcuse, il faut la comprendre, elle a eu le courage pour toi les dents de cette scie sous le menton- Elle a tué son bébé, la sauvée de la vie car elle, elle savait : tout blanc avait le droit de se saisir de toute votre personne ... pas seulement pour vous faire travailler, vous tuer ou vous mutiler, mais pour vous salir. Vous salir si gravement quil vous serait à jamais impossible de vous aimer. Beloved : elle revient... Pourquoi... Que veut-elle ? Elle est venue de nulle part, fantomatique, elle veut traduire la persistance de la conscience, les racines de lamour. Elle reprend sa place, elle réclame cet amour, que tout enfant espère. Elle persécute, tourmente, lui fait souffrir sa mort. Beloved dévorait sa vie, la prenait, sen gonflait sans un murmure. Puis une déchirure du ciel, un souffle de vent, elle a cessé dêtre là. Baby Suggs : elle avait réussi, elle était libre, elle, larche de Noé, au prix de son corps déglingué. Elle se trémoussait en marchant comme un chien à trois pattes. Elle prêche, invoque au ciel ; aux hommes : que vos femmes et vos enfants vous voient danser ; aux femmes : pleurez, leur disait elle, pour les vivants et pour les morts. Puis vient le moment où, dans un silence, elle sassoupit pour léternité. Paul D : un courant passe dans la langue, lécume aux commissures des lèvres, la pièce métallique dans la bouche, qui déchire, la soif qui vous tenaille, les journées interminables, le repos englué dans la boîte de bois et de fer : la plus grande imposture du monde, cest quand la vie na plus de sens, plus de repère, et que lâme est éparpillée. Puis, la fuite de lenfer vers le jardin dÉden. Si Dieu guide ses brebis, il guidera bien un pauvre nègre. Il navait rien, mais il avait la foi dans la vie. Retour à lamante délaissée, par amour il a cru fléchir sa rigueur, mais la découverte de la vérité a brisé le souffle de son espérance. Comment lutter contre cette jeune femme indésirable, menaçante, aux cheveux ondés ? Où trouver la paix ? Je reviens, mon amour, vaincre la mort. Denver : au " 124 " elle vivait, fleur solitaire, bercée par lamour des femmes. Subitement apparaît lautre, forme légère comme un souffle de vent. Que vient-elle faire ? Après une déchirure de lumière et damour, lange se métamorphose pour détruire larbre de sa vie. Il faut exorciser. Ne lui faites pas mal, car elle est sur de mon âme, son beau nom restera dans ma mémoire. Payé Acquitté : ce marginal avait tout vu, enfin ce quil croyait, exception faite du " 124 ". Il voit le monde comme il souhaiterait que les choses se produisent réellement. N°6 : frère de souffrance de Paul D. Il fuit avec sa femme aux cinquante kilomètres et sa semence. Repris, attaché, il entendit : Celui-ci ne fera jamais laffaire. Un seul claquement couvrira le crépitement des flammes. Il nentendit plus les paroles de blanc qui eut été dupe pour acheter un nègre chantant muni dun fusil qui criait n°7, n°7... ? Ella : objet vendu Elle avait vécu sa puberté dans une maison où se la partageaient un père et son fils, quelle appelait la lie de la terre, et à lâme des quels elle mesura toutes les atrocités. Meurtres, enlèvements, viols. De Sethe on ne pouvait accepter linacceptable. Une procession de femmes, elles impllorent, elles triomphent. Là-bas, la fille sévanouit dans " leau de là ". Bernard D1. |
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