Eduardo Plaza-Oñate

 

Sauvé des sots

récit

 

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extraits

 

Présentation

Chili. De la révolution à l’exil, le destin d’un homme qui fabriqua des chaussures dans un bidonville et lutta pour Salvador Allende car il croyait dans les absolus dont toutes les gauches d’alors promettaient l’avènement.

Nonato naquit hors d’une quelconque filiation. Sa mère savait tout de l’érotisme mais ne connaissait rien à la procréation. Pour elle, le géniteur était une "bestiole" : cela lui permit de rester innocente. Nonato hérita de cette innocence, grâce à laquelle il espéra sortir le peuple de la misère dont il était lui-même issu. Pinochet brisa tout et l’exil anéantit dans les intrigues et les impostures toute velléité de révolution.

De la petite ville de la Calera aux Ulis en France après Santiago du Chili, cette histoire vraie est celle de Nonato, qui n’aurait jamais dû naître parce que "fils de rien".

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Extraits

José ouvrit le coffre de la voiture paternelle et prit une clé à molette. Il se dirigea d’un pas rapide vers la voix sans visage qui dessinait à peine une existence, une infime silhouette dans le reflet des flammes. José lui assena un seul coup : la clé à molette s’enfonça dans le crâne ; des sortes de grumeaux sanglants giclèrent ; pas un cri ne sortit d’entre les mâchoires ouvertes. Puis il souleva le jeune homme qui était resté appuyé contre la balustrade et le balança sur les voies. Ses bras esquissèrent un battement d’ailes, mais l’oiseau ne put s’envoler : il s’écrasa sur les rails, quatre mètres plus bas.

José et Nonato revinrent lentement vers la voiture. Camila et Lucia, pétrifiées d’horreur, espéraient se réveiller. Mais le cauchemar n’était pas terminé.

Nonato reprit le volant et roula lentement sur une petite route départementale. La lune apparaissait et disparaissait entre les branches des arbres qui, de part et d’autre de la route, dressaient leurs troncs en équilibre. Au loin, les lumières de la vallée. La nuit d’été scintillait comme une jeune fille prétentieuse dont les diamants et les reflets de la robe cherchaient à ternir la clarté des étoiles. Une nuit de loups-garous. Entre les arbres, les grandes tours des Ulis apparurent au sortir d’un virage ; elles défilaient muettes et sombres.

Nonato s’endormait, deux yeux injectés de sang fixés sur lui. Le visage zébré par un tic plus terrifiant qu’un éclair transperçant un ciel d’apocalypse, José s’apprêtait à la mort : le déluge allait enfin crever. Nonato, occupé à rester suffisamment éveillé pour deviner la route entre ses paupières à moitié closes, ne soupçonnait rien. Entre ombre et lumière, des souvenirs opaques commençaient à être illuminés par une haine contenue, qui trouvait dans une mémoire pleine d’alcool le courage d’un acte humiliant. Nonato s’arrêta devant son pavillon et descendit de la voiture. José sortit, fit le tour et se posta devant lui. Nonato voulut le contourner mais José l’en empêcha ; il parlait d’une voix calme, les yeux fixés dans les yeux de son père qui venaient de les relever car il commençait à comprendre qu’il se passait quelques chose. C’était l’œil de la haine, comme on dit ailleurs l’œil du cyclone : le silence et la sérénité qui préludent aux destructions et au sang.

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Sauvé des sots
d'Eduardo Plaza-Oñate - 165 pages,  85F - ã Panormitis, 2000