Sauvé des sots
récit
Chili. De la révolution à
lexil, le destin dun homme qui fabriqua des
chaussures dans un bidonville et lutta pour Salvador
Allende car il croyait dans les absolus dont toutes les
gauches dalors promettaient lavènement. Nonato naquit hors dune quelconque filiation. Sa mère savait tout de lérotisme mais ne connaissait rien à la procréation. Pour elle, le géniteur était une "bestiole" : cela lui permit de rester innocente. Nonato hérita de cette innocence, grâce à laquelle il espéra sortir le peuple de la misère dont il était lui-même issu. Pinochet brisa tout et lexil anéantit dans les intrigues et les impostures toute velléité de révolution. De la petite ville de la Calera aux Ulis en France après Santiago du Chili, cette histoire vraie est celle de Nonato, qui naurait jamais dû naître parce que "fils de rien". |
José ouvrit le coffre de la voiture
paternelle et prit une clé à molette. Il se dirigea
dun pas rapide vers la voix sans visage qui
dessinait à peine une existence, une infime silhouette
dans le reflet des flammes. José lui assena un seul
coup : la clé à molette senfonça dans le
crâne ; des sortes de grumeaux sanglants
giclèrent ; pas un cri ne sortit dentre les
mâchoires ouvertes. Puis il souleva le jeune homme qui
était resté appuyé contre la balustrade et le balança
sur les voies. Ses bras esquissèrent un battement
dailes, mais loiseau ne put
senvoler : il sécrasa sur les rails,
quatre mètres plus bas. José et Nonato revinrent lentement vers la voiture. Camila et Lucia, pétrifiées dhorreur, espéraient se réveiller. Mais le cauchemar nétait pas terminé. Nonato reprit le volant et roula lentement sur une petite route départementale. La lune apparaissait et disparaissait entre les branches des arbres qui, de part et dautre de la route, dressaient leurs troncs en équilibre. Au loin, les lumières de la vallée. La nuit dété scintillait comme une jeune fille prétentieuse dont les diamants et les reflets de la robe cherchaient à ternir la clarté des étoiles. Une nuit de loups-garous. Entre les arbres, les grandes tours des Ulis apparurent au sortir dun virage ; elles défilaient muettes et sombres. Nonato sendormait, deux yeux injectés de sang fixés sur lui. Le visage zébré par un tic plus terrifiant quun éclair transperçant un ciel dapocalypse, José sapprêtait à la mort : le déluge allait enfin crever. Nonato, occupé à rester suffisamment éveillé pour deviner la route entre ses paupières à moitié closes, ne soupçonnait rien. Entre ombre et lumière, des souvenirs opaques commençaient à être illuminés par une haine contenue, qui trouvait dans une mémoire pleine dalcool le courage dun acte humiliant. Nonato sarrêta devant son pavillon et descendit de la voiture. José sortit, fit le tour et se posta devant lui. Nonato voulut le contourner mais José len empêcha ; il parlait dune voix calme, les yeux fixés dans les yeux de son père qui venaient de les relever car il commençait à comprendre quil se passait quelques chose. Cétait lil de la haine, comme on dit ailleurs lil du cyclone : le silence et la sérénité qui préludent aux destructions et au sang. |
Sauvé des sots
d'Eduardo
Plaza-Oñate - 165 pages, 85F - ã Panormitis, 2000