sommaire Le journal des odeurs : Michel ; un poème de Jacques Amar (surveillant, Fresnes) |
extraits
Lundi 20 juillet 1999 : Une petite surprise mattend. Ayant laissé bien en évidence la noix sur le dessus de lécran de mon PC, il est indéniable que tous les yeux se posent dessus. Cest le cas de lauxiliaire détage... et voici ce quil a écrit à ce sujet : " Lenfant mapporte deux noix quil a prises entre les oranges et les pommes pour que je les lui ouvre. Jen secoue une à son oreille. Tu entends loiseau ? Il dit que oui, et cest vrai quil passe des oiseaux dans ses yeux. Je prends la seconde que jagite pareillement et je lui dis que cest le loup. Je louvre et il rit : cest la noix. Son rire tombe et roule tel une gaulée de noix, une gaulée de noix que nous mangeons ensemble et qui donne soif. On boit un coup, lui son gobelet deau pure, moi mon verre de vin. Lenfant a une tête de lune, de frêles épaules, des jambes grêles qui bousculent le cur, et nos yeux font un pont. Tout est simple comme le chat allongé au soleil du jardin. " Hénao. Étant donné que Marie Thérèse mavait remis cette noix il y a quelques semaines et que je préfère la garder intacte, elle men a donné une deuxième. Michel. |
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Avec le temps qui passe on ne souvient bien mal Les visages seffacent et le doute sinstalle Sur tous ces souvenirs qui séloignent au large Comme séloignent les rêves lorsque le jour se lève. Comment était-il donc ce superbe visage ? La mémoire visuelle tourne vite la page Et quand avec les yeux le passé sévapore Cest avec les oreilles que lon se remémore On entend à nouveau le murmure dune voix Le clapotis de leau, tous ces bruits dautrefois Mais derrière les barreaux rien nest vraiment pareil Après la mort des yeux cest la mort des oreilles Alors que reste-t-il pour faire vivre le passé ? Puisque avec le tactile pas la peine despérer On ne touche du doigt que les objets présents Jamais ceux dautrefois, encore moins ceux dantan. Pourtant il est une chose qui ne soublie jamais Cest le goût et lodeur de nos bonheurs passés. Au détour de nos vies, lorsque flotte dans lair Un parfum, une odeur qui nous est familière La mémoire surgit sans hésitation Offrant les souvenirs, tellement démotions On ferme un peu les yeux sur un discret sourire Et lon pose en douceur sur tous ces souvenirs Un souffle de bonheur ... alors on sentend dire : Incontestablement Le passé se respire ! |
Jack Amar,
surveillant, Fresnes |
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Lassociation Abdelkader ALLOULA Peu de temps après lattentat mortel dont fut victime Abdelkader Alloula, sest constituée à Paris une association portant le nom de dramaturge. La motivation essentielle de cette initiative était la volonté que demeurent vivantes luvre et laction dAlloula, la ferme volonté de parier sur lavenir des valeurs dhumanisme quincarna lhomme et que son uvre exprime de façon exemplaire. Lassociation se donne trois objectifs : Premièrement, la tâche éditoriale de faire connaître son uvre théâtrale : par des traductions (Les généreux, Actes-Sud Papiers, 1995, suivie dautres publications), par la préparation dune édition bilingue annotée des uvres complètes, par la création dun site Internet, dont laccès est libre, et qui est régulièrement alimenté par toutes informations concernant cette action culturelle. Le second objectif est la poursuite de luvre sociale entreprise par Alloula, essentiellement la création et le développement dune institution pour enfants cancéreux. Le troisième objectif est de maintenir et dhonorer le souvenir dAlloula : la première a été la publication dun ouvrage collectif En mémoire du futur, pour Abdelkader Alloula. Lassociation, enfin, publie un bulletin, El goual, Le diseur, à la disposition de toute demande. |
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Rrose Sélavy " Rrose Sélavy peut revêtir la bure du bagne, elle a une monture qui franchit les montagnes. Ô mon crâne étoile de nacre qui sétiole. Le temps est un aigle agile dans un temple. Au pays de Rrose Sélavy on aime les fous et les loups sans foi ni loi. Dans le sommeil de Rrose Sélavy il y a un nain sorti dun puits qui vient manger son pain la nuit. Lacte des sexes est laxe des sectes. Mots, êtes-vous des mythes et pareils aux myrtes des morts ? Largot de Rrose Sélavy, nest-ce pas lart de transformer en cigognes les cygnes ? Les lois de nos désirs sont des dés sans loisir. Femmes ! faux chevaux sous vos cheveux de feu. Le mystère est lhystérie des mortes sous les orties. Jeux de mots jets mous. Aimable souvent est sable mouvant. Plus que poli pour être honnête Plus que poète pour être honni . " Robert Desnos, Corps
et biens, uvres, Gallimard, Quarto, 1999,
p. 502-512. |
Robert Desnos Âge, voyages et paysages Rien ne ressemble plus à linspiration Que livresse dune matinée de printemps, Que le désir dune femme. Ne plus être soi, être chacun. Poser ses pieds sur terre avec agilité. Savourer lair quon respire. Je chante ce soir non ce que nous devons combattre Mais ce que nous devons défendre. Les plaisirs de la vie. Le vin quon boit avec ses camarades. Lamour. Le feu en hiver. La rivière fraîche en été. La viande et le pain de chaque repas. Le refrain que lon chante en marchant sur la route. Le lit où lon dort. Le sommeil, sans réveils en sursaut, sans angoisse du lendemain. Le loisir. La liberté de changer de ciel. Le sentiment de la dignité et beaucoup dautres choses dont on ose refuser la possession aux hommes. Jaime et je chante le printemps fleuri Jaime et je chante lété avec ses fruits Jaime et je chante la joie de vivre Jaime et je chante lété, saison dans laquelle je suis né. Les portes battantes, 1938,
uvres, Gallimard, Quarto, 1999, p. 809 |
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Souhait Sil me reste à vivre plus de
quatre fois dix ans Sil me reste à vivre moins de
deux fois dix ans Sil me reste à vivre une dizaine
dannées Sil me reste à vivre entre deux
et quatre ans Sil me reste à vivre une seule
année Sil me reste à vivre le temps
dun mois Sil me reste à vivre encore un
jour traduit par Amirul Arham et Marc Verhaverbeke. |
Shamsur Rahman Pour tobtenir, ô liberté Pour tobtenir, ô liberté, |
traduit par Hasnat Jehan. |
Shamsur Rahman Plus jamais Je ne veux plus revoir la lune de novembre ni même le matin de diamants que plus jamais devant mon regard ne rayonne le ciel ne murmurent un bonsoir les fleuves ne résonnent les mystères de la nuit ne scintille létoile de lhorizon. Venez plutôt avec des tenailles enflammées arrachez mes yeux ces yeux dont les lumières pénétrantes immortelles me révélaient dans une audace rebelle le silence glacial de la mort des hommes à la belle étoile ou bien les jours couverts de brouillards semblables aux vapeurs dans les yeux des vierges réfugiées ici ou bien un éclatement du cur dun Bouddha, dun Jésus, dun Mahomet dont le sang a giclé de tous côtés sous la haine des dents blanches de désirs. Que plus jamais devant mon regard napparaisse labondante chevelure entourée de rêves napparaisse le visage par une fenêtre de nuit napparaisse par un clair de lune la figure de ma patrie encore victime. Et la voix de mon âme se mettra à diffuser encore les splendeurs de contemplations jusquaux mille racines de la vie plongées dans la nescience noire les hurlements ensoleillés de ma voix tout comme les chants de Prométhée secoueront lair et léther de ce globe et feront éclater le Sphinx dindifférence et décrocher les étoiles et le soleil de votre ciel. Coupez-moi ce cur en tranches fines de soleil de même quun Peshawari avec lavidité aiguisée de son couteau cruel éventre la pomme rouge (veillez pour que pas même une goutte de mon sang ne touche le sol car de chaque goutte jaillira un éternel jet de révolte). Coupez-moi ce cur en miettes ce cur où palpite mon amour intense lamour de ma patrie ce cur pareil aux bénédictions de ma Mère profond et serein comme le regard de ma sur comme les chants sans parole du sourire bien-aimé ce cur qui souhaitait le clair de lune sous le ciel de la terre par les printemps enivrants par les soirs de pluie. Pitié, glaive féroce de Gengis Pitié, ô horreur des Pharaons Pitié, votre soif du sang, ô Timour Venez donc effacer mon existence terrestre Annihilez-moi de ce globe Que ce moi constant comme létoile polaire disparaisse, disparaisse à jamais. traduit par Printhwindra Mukerjee. |
Shamsur Rahman Les corbeaux Sur le chemin du village, pas
dempreintes de pas. Dans Traduit par Amirul Arham et Marc Verhaverbeke. |
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En attendant les larmes... Tu es parti hier, sans valises et sans mots, ton linge sale dans le panier, tes chaussons en cavale Tu ne reviendras pas. J'ai retiré ta photo. J'ai accroché le cadre vide sur le mur, puis mes yeux sur le verre et j'ai quand même été surprise de ne pas y trouver ton sourire. C'est moi, c'est moi que j'ai vue : ombragée, imprécise et j'ai pensé, amère : " déjà je me dissipe ! ". Tu es parti, vais-je disparaître ? Vais-je te sentir à mes côtés comme un membre fantôme : dabord tous les jours puis seulement quand il pleut ? Tu sais ce que c'est toi une veuve invalide de guerre conjugale ?... C'est quelqu'un qui reçoit une demi-pension et pas de médaille. Cela te fait rire vas-y. Ce n'est pas la solitude qui me fait peur, c'est l'ignorance. Rends-toi compte, je ne sais même pas à quelle sauce tu vas me manquer ! À la sauce blanche pour des nuits du même nom ? À la sauce piquante qui fait pleurer les yeux ? À la sauce aigre-douce, qui donne à la douleur un goût irrésistible ? Ou à la sauce piment qui donne envie tout simplement ? Tu vois je cuisine comme un pied, mais j'ai du vocabulaire ! J'aimerais bien pleurer... Tu es parti, tant pis pour toi ! Tu ne verras pas qui je vais devenir. C'est maintenant que je vais changer... J'étais comment avant toi ? Je passe mes doigts sur la vitre du cadre, je ferme les yeux et tente, aveugle malhabile, de lire le relief de ton visage. Mais tu n'es déjà plus qu'une fine poussière sous mes doigts qu'un simple filet d'eau chassera bientôt pour toujours. Oh ! si c'était si simple ! Mais je te sens doucement te fossiliser en moi et je crois bien que je ne t'ai jamais eu autant dans la peau. Je ne veux pas être Ta veuve, je ne voulais déjà pas être Ta femme tu te souviens ? Nous étions ensemble cela me semblait suffisant. Je ne vais donc pas commencer à t'appartenir quand tu n'es plus là ! J'aimerais bien pleurer... Dis-moi que tout ira bien ! Dis-moi que tu ne vas pas me manquer ! Promets-moi que je n'appellerai jamais au secours, que je ne lèverai pas les mains au ciel en criant : " Saint Prozac, guérissez-moi ! Dieu chocolat, faites fondre mon angoisse ! Alcool, stérilisez mon âme ! " Je ne veux pas, pour t'oublier plus vite, m'envoyer en l'air avec le premier fana de veuve venu. Je ne veux pas jeter ton corps et fuir mon âme dans un grand geste caritatif. Je ne veux pas faire du théâtre, du tennis ou du vélo pour soulager ma ménopause solitaire. Je voudrais que le temps embarque dans sa fuite notre histoire et qu'ainsi rassasié il me foute la paix... Si nous avions divorcé, je me sentirais moins veuve... J'ai un peu froid, je tremble, tu crois qu'une cigarette ?... Tiens ! Voilà un truc que nous n'avons pas essayé : arrêter de fumer... Je suis une veuve toute neuve, seules mes idées sont habillées de noir. Une goutte s'écrase sur la vitre, solitaire, pathétique. Puis une autre et plein d'autres tambourinent au carreau, mais tu ne viendras pas j'ai jeté ta photo. Je suis une veuve toute neuve, je ne sais pas ce que je ressens ! Oh... mais je pleure ! Marie-Noëlle Toutain |
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" Vous
n'êtes ni Romains ni Spartiates, ni même Athéniens.
Laissez là ces grands noms qui ne vous vont point. Vous êtes des marchands, des
artisans, des bourgeois... pour qui la liberté même
n'est qu'un moyen d'acquérir sans obstacles et de
posséder en sûreté. " Rousseau, aux Genevois, en 1764, cité dans La Quinzaine, n°598, 01.04.91, p. 9. |
" Oui, la
bêtise consiste à vouloir conclure. " Gustave Flaubert |