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Alban Brannens, Corps-Morts
présentation
extraits
Le Vieux et
quelques autres (collectif)
présentation
table
extraits
Corps-Morts
fado
Présentation
Condensation, surimpression :
récits, souvenirs, images racontent ce qui hante un
narrateur mystérieux perdu dans le monde des vivants,
comme Robinson sur son île déserte : puzzle où se
reconstituent les grands événements dune vie,
tout compte fait solitaire, malgré lamour, en vue
de la mort. Marins et troubadours ont chanté la " saudade " à travers les siècles. Cest lair quon respire, imprégnant tout et tous, mais sait-on que lon respire ? Tristesse, ou nostalgie ? Cest un mot quon ne traduit pas. Dans ce sillage le fado a pris forme : de multiples formes. Il se dit qu " on chante le fado comme on prie " : des mélopées répètent dâge en âge le destin (fatum fado) qui mène toute vie : amour, passions, trahisons, ruptures, chagrins, souffrances, morts, combats des êtres et des peuples. Tout cela se raconte et se chante pour permettre de survivre au delà de linsupportable. Les pauvres comme les riches sont emportés par les mêmes mots, les mêmes mélodies, les mêmes voix, car lessence du fado tient au ton : le ton des voix et la manière de dire les êtres, les événements et les choses. Portugais, Brésiliens ont cela dans le sang. Ils lexpriment et le chantent comme personne dautre. Non pas quils soient les seuls à le dire, mais ils le disent autrement, dun autrement inimitable, qui transperce lâme. Quel meilleur mot que fado peut désigner ce quexpriment ces pages ? |
"Une main retourne un instant vers ce sexe qui
veille, comme pour vérifier que le monde existe encore
et que l'on peut se rendormir." (p. 62) "Un singe sans spectateurs commence à s'agiter pour ses occupations du matin : il décortique minutieusement une noisette. Quand il y aura du monde, il fera son cinéma. Pour l'instant, ce n'est pas la peine." (p. 44) |
"À Aups, durant l'été, le
matin de bonne heure, il y a moins de monde dans les
magasins qu'en fin de matinée. Une vieille femme fait
chaque jour ses courses de très bonne heure, à
l'ouverture, parce qu'elle n'a envie de voir personne.
Ça ne la dérange pas de faire ses courses à cette
heure-là, car elle se réveille tôt et se lève sans
attendre. Elle a l'air d'un oiseau égaré qui va
chercher de quoi survivre encore un ou deux jours, en
semblant s'excuser d'être là. Elle dit parfois tout bas
qu'elle n'a rien à faire dans ce pays, qu'elle est une
picarde transplantée en Provence. Ses yeux sont bleus,
ses cheveux bien tirés comme dans un portrait de
Vermeer. Elle est toujours en train de besogner, à
l'écart du monde, dans une contemplation triste. Elle ne
comprend pas les pensées tortueuses de ces gens qui
cachent les plus grandes haines sous un ton de galéjade,
et qui passent des vies entières à se venger. Quelqu'un
se faufile dans sa ruelle, frappe à sa porte en essayant
de n'être pas remarqué. Elle ouvre discrètement. Ils
bavardent. Que se disent-ils ? Elle garde de ces
rencontres une illumination qui se prolonge des journées
entières, comme lorsque le mistral se met à souffler en
nettoyant tout, réconciliant toutes choses avec la
lumière dans la netteté restituée de 'espace infini.
Toute la tristesse du monde se lit dans son regard
lorsque, par hasard, on l'aperçoit, et c'est peut-être
pour çà qu'elle baisse toujours les yeux." (p. 19) "En dormant les amours deviennent anonymes,
les corps interchangeables, et des souvenirs s'invitent
sans prévenir : une rencontre manquée ou inachevée,
une blessure qui ne se referme pas. Le jour, c'est en se
promenant dans les rues que l'on plonge dans l'océan des
regards rencontrés, ballotté, rejeté ou happé par des
gouffres, abandonné à des dérives incalculables,
regards que l'on voit comme des cieux étoilés qui se
dévoilent par intermittence en des nuits nuageuses. "Ils somnolent sur la plage. Des mots, des phrases, des souvenirs s'entrechoquent comme les petites billes à l'intérieur d'un hochet qu'un bébé agite. La nuit est revenue. Robinson sait qu'il va mourir. En vérité, il n'a ni envie de mourir, ni envie de ne pas mourir : il n'a envie de rien. Seuls lui parlent ces corps qui jouent à la frontière de l'eau et du soleil, palpables avec les yeux, aux pensées qui chantent, aux peaux luisantes, ruisselantes, hâlées. Peut-être rêve-t-il encore parfois que sa tête repose dans le creux d'une épaule aimée, contre lui, en s'endormant ? Les chagrins ont la nuit pour se taire et un corps pour se consoler, et dans le cours de cette nuit, parfois, le plaisir bouillonne comme une eau de source, mais l'étreinte est venue trop tard car elle n'était plus qu'un rêve construit avec la poussière de moments déçus." (p. 127-128) |
"Robinson aujourd'hui désenchanté, revenu au
pays, se promène dans les rues et croise d'anciennes
connaissances qui font semblant de ne pas le reconnaître
: des gens d'avant, dans le flagrant délit de ce qu'ils
sont devenus. [...] Et chacun creuse son sillon jusqu'aux étangs de la solitude où il y a beaucoup de monde le dimanche. Le soleil s'est brisé, accompagné par la ritournelle d'un orgue de barbarie dont une adolescente tranquille tourne la manivelle, et sur lequel un petit singe épluche des cacahuètes." (p.125-126) |
Corps-Morts
d'Alban Brannens - 173 pages, 17,38 - ã Panormitis
Arguments et nouvelles de
Eduardo Plaza-Oñate
Julien Giusti
Jacques
Durandeaux
Frédéric
Gobert
Laurence Gay-Para
Louis Mandler
Présentation
Des hasards, des rencontres et des conversations ont
arraché ces pages au silence où elles reposaient. Voici
des textes écrits, hors des rêves de gloire, pour se
souvenir, se délivrer ; pour jouer, pour rire, pour
pleurer. Pages où des sensibilités, des imaginations,
des amours et des haines se sont rencontrés sans s'être
donné rendez-vous. |
Parmi ces nouvelles se trouvent aussi des arguments : exposés succincts d'histoires qui pourraient s'écrire. Ce sont comme des pauses, ou des récréations dans la lecture de ce livre. De tels sujets d'histoires possibles, viennent à l'esprit vingt fois par jour dans les mille et une circonstances de la vie - et aussi, parfois, la nuit - que l'on griffonne au verso d'un ticket de métro, d'un billet de chemin de fer ou d'un bout de papier quelconque : ce sont des gisements de nouvelles, de romans, de films ou de pièces de théâtre. Il n'importe que de les exploiter. |
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Le Vieux
"Des enfants du quartier frappèrent à la
porte. Ils venaient dire que Copo avait été tué par
une charrette. La roue en fer lui avait écrasé le
ventre. Floridor alla le prendre dans ses bras. Sur son
passage, les voisins le plaignaient, et les enfants
caressaient Copo une dernière fois. L'attroupement se
transforma en cortège qui raccompagnait lentement le
Vieux jusque chez lui. Puis, chacun retourna chez soi.
Dans le hangar, Floridor décrocha son beau couteau de
boucher et ouvrit le ventre du chien. Il lui ôta les
viscères, enleva la peau et découpa les morceaux qui
lui paraissaient appétissants. Il prépara une marinade
: huile, vinaigre, piments verts agrémentés d'herbes
aromatiques. Les morceaux de viande y trempèrent trois
jours. Dès qu'on lui avait annoncé la mort de son
chien, il avait songé à fêter la naissance de son fils
: son cher Copo apportait la viande, Ramon se chargerait
du vin. Il déposa la viande imbibée de marinade dans
une grande bassine, en donna un morceau à l'Indienne
pour le lendemain, et invita quelques amis du quartier. À l'heure du déjeuner, le Vieux alluma le feu. Le vin était là. Les invités et tous ceux qui avaient été attirés par l'odeur de la viannde grillée entraient chez le Vieux. On leva les verres en l'honneur du nouvel enfant Onate, et on mangea Copo. Les enfants de Camila dévoraient les côtelettes. La fête dura tout l'après-midi. Nonato n'était pas venu parce qu'il avait refusé de consommer du chien. Le lendemain, sachant que personne ne connaissait l'origine de la viande, il taquina ses voisins. "Alors, vous avez fait la fête ? - Oh oui !... - Vous avez été pisser ? - Bien sûr ! - Et vous avez levé la patte ?" Ensuite il rendit visite à un collègue cordonnier et lui demanda s'il n'avait pas aboyé dans l'après midi. Bientôt, tous les hommes comprirent et plusieurs semaines passèrent avant que le Vieux ne puisse revenir dans le qurtier. Qu'importaient les menaces, la fête avait été belle !" (p.57-58) |
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Extraits (suite)
Psychanalyse
"Lucinde se rend à son premier
rendez-vous avec un psychanalyste. Elle se trompe
d'étage et arrive chez un monsieur dans la cinquantaine
qui la reçoit poliment, l'écoute. Un détail de
l'expression du visage lui fait penser qu'il prend
congé. Elle se lève ; il se lève. Elle n'ose lui
poser aucune question quant aux honoraires pensant que ce
serait indélicat mais elle a préparé ce qu'elle croit
être par ouï-dire le tarif d'une séance, qu'elle sort
discrètement de son sac et pose furtivement sur le coin
de la table. Il semble ne pas voir. Elle le trouve
vraiment très délicat. Elle propose de revenir et
suggère : - Mardi, à 17 h ? Il ne dit rien et la reconduit vers la porte, lui tend la main en souriant. Elle revient le mardi suivant, à 17 h. Le scénario est le même. Elle rythme ses séances à trois fois par semaine, stabilise ses horaires. Au bout de trois semaines, elle dit vouloir s'allonger sur le divan pour continuer à parler. Il ne fait aucune objection. De temps en temps, il dit vaguement quelque chose. Elle le trouve génial. Elle est toujours surprise par ses remarques. Elle pose l'argent sur la table lorsqu'elle s'en va. Les semaines passent, les mois, les années. C'est une excellente analyse. Quant à lui, il réfléchit." (p.131) |
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Le Vieux et quelques autres
Arguments et nouvelles de Eduardo
Plaza-Oñate, Julien Giusti, Jacques
Durandeaux, Frédéric Gobert, Laurence Gay-Plaza, Louis
Mandler - 190 pages,
17,84 - ã Panormitis